Friday, December 26, 2008

Manfred

Une bien belle journée…

La guerre… interminable pour beaucoup, elle ne l’est cependant plus pour bon nombre d’entre nous, et ce, de jour en jour. 

Aujourd’hui devait être la plus belle journée de Wolfram, mon cousin.Nous sommes le dimanche 21 avril, la brume matinale avait attendu onze heures avant de se lever, laissant entrevoir un temps idéal pour voler. Wolfram allait enfin connaître la consécration, le moment qu’il avait attendu de longs mois, voler avec la Jagdstaffel 11, à moins que ce ne fût celui de partager le ciel avec moi et mon frère, Lothar. Je me demande même s’il en avait dormi de la nuit tant il paraissait excité ce matin au petit-déjeuner.

A onze heures quarante-cinq, lorsque nos hélices commencèrent à émettre ce bruit assourdissant que j’aime tant, je me suis rappelé mon premier vol. Wolfram devait avoir le cœur serré, mal au ventre, et surtout ressentir les premiers effets de l’adrénaline gagnant l’ensemble de son corps. Comme je l’enviais… avec le temps, ces douces sensations s’estompent… c’était bien qu’il soit là, avec nous ce matin. Un dernier coup d’œil à droite, près du mess, Moritz, mon chien, un dogue d'Ulm, était bien là, fidèle au rendez-vous, on pouvait donc décoller.

Aujourd’hui, nous n’avons pas dû attendre longtemps, nos « amis » étaient bien au rendez-vous et quelle ironie pour Wolfram, qui avait toujours eu peur des chameaux, allez savoir pourquoi, nous étions en face de quelques Sopwith Camel de la RAF.

Avec leurs nez rouge, pas de doute, c’était bien l’escadrille 209, de bons pilotes, pour un baptême de l’air et du feu, il allait être servi. Je fis signe à Wolfram de rester un peu à l’écart, ainsi, il pourrait observer sans s’exposer inutilement dans ce combat qui ne lui apporterait rien de bon.

Après quelques minutes seulement, un Camel prit Wolfram en chasse, il fallait que j’aille l’aider, seul il ne pouvait s'en sortir, pas lors d'un premier combat avec d'aussi bons adversaires. Le Camel ajustait déjà son appareil depuis de longues secondes, crachant des rafales d’obus plus longues les unes que les autres, la manœuvre semblait hésitante, ce pilote ne devait pas être très expérimenté, mais à ce train là, il allait finir par le toucher. 

Je pris le Camel à mon tour en chasse et ouvrit le feu, ce fût suffisant pour le faire hésiter, lui faire peur sans doute, mais en changeant de trajectoire, il permettait aussi à  Wolfram de s’éloigner du combat. Je le vis me faire signe avec son pouce levé, tout allait bien, et c’était là le principal, à mon tour je lui fis signe de rentrer sans plus attendre vers nos lignes.

Quant à moi, j’avais un compte à régler avec ce Camel…

Après quelques secondes seulement, j’étais déjà derrière lui, ce qui confirmait ma première impression, ce pilote était un novice. Une première rafale alla perforer son aile droite de quelques dizaines d’orifices, et alors que je faisais feu une nouvelle fois, à mon tour je vis une rafale trouer mon aile gauche, j’étais la cible d’un deuxième Camel !

Deux contre un, le combat devenait était un peu inégal, je décidais donc, après quelques manoeuvres dignes de haute voltige de prendre congé de mes deux « amis », qui partaient également de leur côté. Les occasions ne manqueraient certainement pas de nous revoir dans un avenir proche de toute façon.

La Chevalerie moderne se passait dans les airs à notre époque, et c’était bien ainsi, surtout en temps de guerre.

Il me fallait rentrer maintenant, j’espérais juste que Wolfram, Lothar et nos 7 autres équipiers s’en seraient sortis indemnes aujourd’hui. Moritz, comme à son habitude, aboyait déjà depuis trois minutes avant que nos mécaniciens ne purent voir les ailes de nos avions.

Un, deux, trois… quatre, cinq…. six… sept, huit…. neuf ! , Il en manque un !!!

Wolfram est bien rentré, la peur au ventre, mais rien qui ne l’empêcherait de repartir plus tard dans l’après-midi ou le lendemain. Lothar s’était également posé sans encombre.

Quatre heures plus tard, Moritz avait déjà fait douze fois le tour des avions rentrés, mais plus rien n’y changera, aujourd’hui, il était écrit qu’il en manquerait un.

Le Fokker triplan DR1, n° 425/17 tout de rouge vif vêtu s’était aventuré un peu trop loin au-delà des lignes anglaises.

A son retour, alors qu’il survolait une des lignes les mieux défendues du front, les batteries anti-aériennes anglaises, ainsi que les soldats australiens présents firent feu de tout bois sur l’appareil. Celui-ci se posa sans trop de dégâts à proximité des lignes ennemies, à Vaux-sur-Somme, mais le pilote ne survécût pas à ses blessures.

C’est donc par cette bien belle journée du dimanche 21 avril 1918, après 80 victoires en combat aérien que moi, Rittmeister Manfred Albrecht, Baron von Richthofen, né à Breslau le 2 mai 1892, l’As des As, le Baron Rouge, connu enfin la fin de cette guerre à mon tour.

Friday, July 25, 2008

Valérie

Un jour, il faudra que tu m’expliques comment tu peux avoir les mains aussi douces.
C’est dingue quand même, depuis le temps qu’on se connaît, j’ai toujours pas compris comment tu fais.
On dit toujours que la peau des bébés est ce qu’il existe de plus doux au monde, et jamais je n’oserai demander à quelqu’un de comparer de peur de faire tomber un mythe né dans la nuit des temps.

J’adore te prendre la main, que ce soit la gauche, la droite, cela ne fait aucune différence, je les caresserai pendant des heures.

En glissant mes doigts sur le dos de ta main, en les descendant ensuite le long de ces doigts interminables, sans oublier de passer au dessus de tes superbes bagues, et je ne dis pas ça parce que j’y vois ma bague de fiançailles et notre bague de mariage, tu me connais… le voyage se termine toujours sur le vernis de tes ongles, toujours impeccables, ni trop longs, ni trop courts.

Tu savais que tu pouvais faire mannequin pour certaines parties de ton corps seulement ?
J’ai lu un article là-dessus de la semaine dans un magazine, et à coup sûr, les plus grands joailliers te choisirais comme support pour leur bagues, je suis prêt à le parier !

Par contre, pour les produits de maquillage, tu causerais leur faillite à tous tant tu n’en as jamais eu besoin.
Ton visage est tellement doux, c’est dire si le niveau est déjà difficile à battre, mais ton regard, tes yeux… rien que de les regarder, j’en tremble encore.
Je n’en ai jamais vu d’aussi parfaits, leur couleur, leur forme, leur contour, cils et sourcils… cet ensemble là vaut aux miens tout l’or du monde, et si nous n’étions pas mariés depuis si longtemps, promis, je te drague !

Je ne parle même pas du dessin de ta bouche, en fait, je dois y passer tellement de temps, que je me demande vraiment si nos amis ont la moindre idée de ce à quoi elle ressemble.

J’allais oublier ton nez, mais la seule qui t’aurait à coup sûr jeté un sort, c’est Cléopâtre car si elle est (en partie) entrée dans l’Histoire, c’est aussi grâce à cet atout… tu l’aurais balayée de tous les dictionnaires

Quant à ta coiffeuse… au début, je dois t’avouer que j’étais un peu jaloux.
Je me suis même demandé si je n’étais pas avec le temps devenu possessif, tant tu passais du temps chez elle, mais cela aurait été une injure à ta fidélité et cet amour indescriptible qui nous unit depuis si longtemps.
Ceci dit, quand je te regarde avec toutes ces mèches de couleurs différentes, savant mélange de blond, brun, roux, il faut rendre à César ce qui appartient à César (Cléopâtre aurait apprécié que je le mentionne je pense…), c’est presqu’une œuvre d’Art tant c’est beau et vivant au contact des rayons du soleil.

D’ailleurs, tant qu’on en parle, on peut bien le remercier aussi celui là… 2 heures à peine dehors suffisent pour que d’un coup de baguette magique, il satine ta peau couleur miel, du plus bel effet s’il en est.

Tu sais que je commence sérieusement à te soupçonner de magie, bien plus blanche que noire, pour ainsi rassembler naturellement l’ensemble des Eléments à ta cause.

Je pourrais parler du reste de ton corps, mais je risque de faire rêver le commun des mortels tant tu es… belle, parfaite.
Donne-moi une feuille, un crayon, et sur base de la perfection, je te dessine telle que tu es en moins de cinq minutes.

Maintenant que j’y pense, tu serais une Elfe, voire, soyons fou, une Fée déguisée en humaine que je ne serai qu’à demi surpris.

Rien à faire, il me suffit de te regarder pour penser… « Je t’aime ».
J’ai dû te le dire moins d'une fois sur cent que je l’ai pensé, mais rien à faire, même si cela est universel et semble tout dire, ces quelques mots me semblent bien dérisoires en regard de l’émotion qui me submerge à chaque fois que je te regarde.

Il paraît que ça se voit d’ailleurs, j’ai été trahi par ce petit sourire qui se dessine au coin de mes lèvres quand mon regard s’attarde sur toi.
D’après de récentes statistiques, tu remercieras tes copines et mes potes, ils sont maintenant près de soixante-quatre à le penser… très fort.
Tu peux être fière de toi, tu as fait de moi quelqu’un d’heureux.

D’ailleurs, tu vois, il est de nouveau là ce petit sourire… il suffit que je te regarde pour qu’il apparaisse, une réaction chimique, voire physique certainement.

Quoi ? Tu ne le vois pas ? Tu dois bien être la seule, à moins que… attends, c’est normal, il y a de la pluie qui le cache, voilà, c’est effacé, c’est mieux non ?

Comment ?

Désolé ma chérie, je dois te laisser, ils doivent refermer ton cercueil maintenant, tu me manques déjà... tu n'as même pas idée.

Thursday, October 4, 2007

Athos

Le ciel est bien ténébreux alors que nous ne sommes qu'à la mi-juin...
La centaine de corbeaux qui volent, planent, dans ce ciel paré de toutes ces couleurs rouges doit également y être pour quelque chose.

Sur la plaine, tout n'est que désolation, des milliers de corps qui jonchent ce sol détrempé par le sang de tous ces guerriers qui, au coeur de la bataille, ne devaient penser qu'à être chez eux, bien au chaud, beigné du réconfort et de l'amour de leur femme.
Cette bataille s'était enfin terminée... et le banquet des corbeaux pouvait commencer.

Cette bataille avait duré bien longtemps, de longues heures de corps à corps, des assauts répétés qui finirent par éprouver les plus vaillants de ces guerriers, les uns après les autres.
Des heures qui s'écoulèrent pour tous aussi lentement que des semaines, des mois.
C'était donc terminé, enfin. Le bruit des épées qui s'entrechoquent avait enfin laissé la place au silence.

Un silence que l'on aurait pleinement apprécié s'il n'y avait eu cette odeur âcre et pestilentielle de ces corps jonchés les uns sur les autres.
Une odeur lourde et tenace, cette même odeur qui vous laisse l'impression de vous envelopper telle une cote de mailles, et de vous serrer bien fort contre elle au point de vous étouffer.

Cette odeur, même le plus faible souffle de vent arriverait à la porter jusqu'aux plus insensibles des narines humaines.
Le parfum de la "Mort"...
Celle-ci, ne se ferait certainement pas prier pour venir contempler son oeuvre, et nul doute qu'après un tel carnage, ce spectre sombre pourrait s'octroyer quelques jours de vacances.

Des corps à perte de vue, hommes, chevaux, tous unis pour leur dernier voyage, sur une plaine qui, avant leur arrivée, ne se disposait qu'à nourrir des dizaines d'hectares de blé.
Quel gâchis, toutes ces vies.... tout ce blé.... toute cette terre.
Mais tout cela en valait-il la peine ?

Au milieu de ce tableau nauséabond, un chevalier semble pourtant encore appartenir au monde des vivants.
Je dis "semble", car au milieu de ces corps, de ces lances brisées, de ces sabres plantés dans le sol, se trouve un chevalier noir.
Couvert de sang, ce dernier est agenouillé, les mains posées sur son épée plantée dans le sol, la tête penchée vers l'avant.
Son heaume est posé près de lui, à même le sol, fendu par un coup d'épée ou de hache ennemie. Cette pièce d'armure qui d'ordinaire surmontée d'une soyeuse et voluptueuse plume blanche, faisant généralement la fierté de son chevalier, avait depuis quelques heures troqué cet apparat angélique contre un plumeau bien fade, couvert de sang.
De sa superbe, il ne restait finalement pas grand chose.

Peut-être est-il en train de prier ?
Peut-être est-il mort ?
Peut-être est-il en train de rassembler ses forces pour se relever ?

Le corps transpercé de flèches, il a beaucoup de mal à respirer, à reprendre son souffle.
Il lui faut enlever cette cuirasse qui l'empêche de respirer, peut-être ses dernières bouffées d'air, mais il l'a compris, enlever cette armure, s'est aussi s'exposer de façon irrémédiable à une nouvelle flèche, lance, ou carreau d'arbalète.
Cette fois c'est certain, ce serait bel et bien synonyme de trépas au vu du peu de forces qu'il lui reste.

Pourtant, il lui faut se relever.
Rester là, ne lui apportera rien et il en est conscient.
Il lui faut repartir, trouver un refuge pour panser ses plaies, oublier ce qu'il vient de voir, de vivre, décharger ses souvenirs de ces derniers instants qui risquent fort bien de laisser une trace indélébile au fond de son âme.

Mais en a-t'il vraiment envie ?
Pourquoi se relever après ce qu'il vient de vivre, la vie a-t'elle encore un sens après tout cela ?

Je suis ce chevalier, cette bataille était celle de l'amour, ce champ de blé mon coeur, et ce qu'il me reste, à part les plaies, c'est le souvenir.
Cette cuirasse m'empêche vraiment de respirer... je dois l'enlever.

Tuesday, July 31, 2007

Rachel

Bip, Bip, Bip, « Bonjour, il est 7 heures, Vanessa Klak pour les informations sur Pure FM… déjà des bouchons aux alentours de Bruxelles, pour ne pas changer…, à signaler un poids lourd renversé sur le viaduc de Vilvoorde, trois kilomètres de files, une collision entre plusieurs véhicules dans le virage de Forest, là, vous êtes à l’arrêt depuis Halle…. »

Putain de réveil… off.

« … il est 7 heures vingt-cinq, voici le dernier Manu Chao « Raining in Paradise »
Et merde, je vais encore être à la bourre !!! Qu’est-ce qu’elle a dit ce matin sur le point route ? Des bouchons partout ? Flûte, c’est mercredi, je dois aller bosser à Bruxelles en plus, ça va encore me prendre deux heures.

Qu’est-ce qui m’a pris de raser ma barbe la semaine dernière, je vais encore perdre dix minutes dans l’aventure. Pour le café, pas le temps, je le prendrai au bureau, et pour le petit déjeuner… voyons voir… voilà, un bâton de chocolat, c’est bon pour réveiller les méninges. On s’occupera du foie plus tard.

Mais on est le 18 juin ! Génial, Rachel revient de son voyage d’affaires ce matin.
Voilà sept ans que nous sommes ensemble et ce soir, c’est décidé, je me lance !!
J’ai tout avec moi ? La bague !! Non, c’est trop cliché, je peux pas la perdre le jour-J… ah, là voilà ! Elle est superbe, elle va adorer, et pour une fois, je ne risque pas de lui offrir encore la même que pour ses anniversaires, un beau diamant serti de pierres bleues… j’adore !
D’accord, je lui ai déjà offert deux fois les mêmes, et je me rappelle de sa tête. Ceci dit, il faut avouer que pour offrir deux fois la même bague, c’est que je suis fidèle à mes goûts ! Reste peut-être à les varier, mais ça, c’est une autre histoire.
En tout cas, celle-ci, elle va l’adorer c’est sûr, même sa mère n’a su retenir ses larmes quand elle l’a vue.
Un gros diamant entouré de ses douze petits frères… celui qui a fait ça, c’est un artiste, même si mon banquier doit le détester à l’heure qu’il est.
Je me demande si elle va pleurer quand je vais lui offrir… quelles idées je peux avoir par moments.
Zut, allez je dois refermer cette boîte sinon j’arriverai jamais à l’heure pour le premier meeting de la journée, et en plus je dois en avoir cinq si je me souviens bien de mon agenda. Je vais quand même lui sonner pour voir où elle est… boîte vocale, elle est sûrement dans l’avion, j’appellerai plus tard.

Huit heures ! Faut que j’y aille ! Cool, c’est Adora d’Indochine qui passe à la radio, de quoi maintenir la bonne humeur.
Comme prévu, deux heures pour arriver au boulot, ce n’est pas que je commence à en avoir marre, mais ça y ressemble. Si ça continue, je finirai même par envisager prendre le train.
Tout juste pour le premier meeting, allez je fonce pour pas y être le dernier.

Onze heure, infect !! Ce café est vraiment infect, si je continue de boire ce truc, c’est près de ma sœur, infirmière à Erasme que je vais finir, à la différence que moi seul serai allongé dans un lit.

Faut que je sonne à Rachel, j’espère qu’elle n’a pas oublié le rendez-vous de ce soir. Je vais lui demander sa main chez Francesco, son restaurant préféré. Depuis le temps qu’on y va, nous avons établi une véritable amitié avec Francesco, mais aussi avec tous ses employés, dont ce cuistot complètement givré de Nicolas qui ne pense qu’à découper et cuire du cheval.

Ca va faire plaisir à Rachel, et comme en plus Francesco se prête au jeu… l’entrée du gâteau « carnaval » dans la grande salle, toutes lumières éteintes, cela devrait faire son effet. J’espère juste qu’il fera éteindre les lumières après que je me sois agenouillé pour lui demander sa main et non avant… toujours pressés ces italiens.

Onze heures vingt… encore sa boîte vocale… « Bonjour ma chérie, sonnes-moi dès que tu arrives, et n’oublies pas notre rendez-vous de ce soir, tu peux passer me chercher au boulot vers dix-neuf heures trente… ok, vingt heures, je suis toujours en retard je sais… je t’embrasse ».

Quatorze heures, faut vraiment que j’ai perdu le sens du goût pour encore reprendre un de ces cafés. Où est mon portable ? Toujours pas de message, ni d’appel. Je parie qu’elle a encore raté son vol, c’est à chaque fois pareil quand elle part toute seule. Au lieu d’une bague, c’est un gros réveil muni d’une boussole que j’aurai dû lui acheter. C’est moins joli, mais quand on la connaît, c’est acheter utile.

Zut, encore sa boîte vocale… tant pis, faut que je file dans la salle 54, une bonne raison de me débarrasser de ce café.

Une petite vibration sur le coeur, c’est elle !! Dans le cœur, c’est en permanence, mais sur le cœur, c’est le vibreur du portable. Enfin. Un message ? Non, une deuxième vibration, c’est un appel.
Zut, pas en plein meeting, je vais me faire remarquer, tant pis, je lui retéléphonerai après. Enfin, j’espère que c’était elle.

Ce meeting n’en finit pas… dix-huit heures trente, ce n’est plus un steering, mais une transposition d’un marathon, dire que dans une heure trente, je serai en route pour le bonheur. J’écoute plus trop ce qui se raconte, mais ce qui est sûr c’est que si la machine à avancer le temps existait, il serait déjà vingt heures !

Terminé ! Enfin ! Je vais vite écrire mes emails et résumer les points qui m’ont été assignés. Plus que vingt minutes, je vais encore être en retard, tant pis, je la verrai dans le hall, pas le temps de lui sonner.

Vingt heures, et voilà, je presse « Send » et le dernier email part, ouf. Allez je clôture toutes ces sessions, j’éteins cet ordinateur, cet écran, et maintenant, en route pour la gloire !

Yes !!! je suis le premier dans le hall. Je vais lui dire que je suis là depuis dix-neuf heures trente… La bague ! Ouf, elle est toujours bien là dans ma poche.

Vingt heures dix… voilà qui ne lui ressemble pas. Zut, le coup de fil, j’ai pas pensé la rappeler, alors… tiens, c’est un appel de sa mère, et pas de message. Encore un point commun avec Margareth, sa mère. On s’adore, on a des tas de points communs, et laisser un message sur une boîte vocale, c’est pas notre truc. Bon ben comme Rachel n’est pas encore à, je vais la rappeler.

Voilà, ça sonne… Allo, Margareth ? Bonsoir c’est votre beau-fils préféré, et ne me dites rien, je sais que vous n’avez qu’une fille… Margareth ? Tout va bien ? Vous pleurez ? Que se passe t’il ?... Quoi ?... Ce n’est pas possible ?... Quand ?... Je viens tout de suite !

Le temps vient de s’arrêter.
Tiens, il y a de la pluie sur mon visage, bizarre, on est à l’intérieur du hall.
C’est quoi ce truc par terre ?
Oh, mon portable est tombé, et j’entends plus rien en plus, qu’est-ce qui m’arrive ?
Je ne vois plus rien, trop d’eau dans les yeux.
Pas moyen d’avancer, quelqu’un doit me retenir les pieds, je n’arrive plus à bouger.
Noir, il fait tout noir maintenant.
Je ne vois plus rien, je n’entends plus rien, où suis-je ?
Qu’est-ce qu’il m’arrive ?

« Mais poussez-vous donc ! Laissez-le respirer » cette voix, je la connais… Michel ?
Michel c’est toi ?
Tiens, de la lumière, mes yeux s’ouvrent petit à petit.
Tous ces gens ?
Qui sont-ils ?
Pourquoi suis-je allongé à même le sol ?
Michel ! Michel, qu’est-ce qu’il se passe ?

« Tu me vois, tu m’entends ? » j’ai surtout senti la claque que tu viens de me mettre.
« Elle est partie toute seule idiot, tu as mal quelque part ? Tu es tombé tout d’une et Werner, le garde de la sécurité vient d’appeler une ambulance »
Non, je n’ai mal nul part, enfin, je pense, je ne sais même pas ce que je fais ici
« Tu veux que j’appelle Rachel ? »
Rachel ? Rachel… Voilà le déclic, Rachel…
Rachel est morte Michel.
Sa mère vient de me prévenir.
Elle a pris le premier avion ce matin pour venir me rejoindre le plus rapidement possible, pour une fois qu’elle rate pas son avion, et un camion a percuté son taxi sur le pont de Vilvoorde et s’est renversé dessus.

Tu peux me conduire à l’hôpital ?
Je n’ai pas envie d’y aller en ambulance, et puis je ne suis pas trop certain de pouvoir conduire pour tout te dire.
« … viens, je t’emmène tout de suite »
Merci.
« Monsieur, Monsieur… »
Oui ?
« Cet écrin est tombé de votre poche… »
Lorsque Michel regarda l’écrin, il comprit tout de suite.
Pour une fois, je ne lui avais rien dit...
Il faut dire qu’avec cette amitié qui nous caractérise depuis autant d’années, pas besoin de beaucoup de mots pour que Michel et moi puissions nous comprendre, parfois un seul geste, un seul regard est suffisant.

Je pris l’écrin dans ma main et l’ouvrit… quelle jolie bague…
Je me suis encore trompé, ce n’est pas Rachel qui pleure en la regardant, c’est … moi.
C’est fou ce qu’elle brille plus… quand on la regarde avec des larmes devant les yeux.

C’est fou.

Rémy

En arrivant au boulot ce matin, je m’attendais bien à quelques remarques.
Pas autant sans doute, mais l’imagination de mes collègues, de mes amis, a quasi tout couvert sauf l’essentiel mais dois-je leur en vouloir.

Fan de Nikola Sirkis depuis que « L’aventurier » est passé pour la première fois sur les ondes, c’est dire si ce n’est pas neuf, je me plaisais à garder la même coupe de cheveux depuis ce temps.

Ce matin, lorsque je suis arrivé au bureau et ils ont eu un choc c’est certain.
Habitués à ces mèches rebelles, ils n’auraient jamais imaginé voir arriver le Bruce Willis des « Larmes du Soleil ». Pour la barbe de quelques jours, passe encore, je crois les avoir habitués à bien pire, mais pour les cheveux… ça, c’est une autre histoire.
« Jolie coupe de printemps » ais-je entendu, mais à ce stade là, il aurait été plus judicieux de parler de coupe d’été. Un beau petit crâne tout lisse.
En y repensant, c’est vrai que ça a dû leur faire un choc.

Pour d’autre, j’avais perdu un pari. Je veux bien parier quoique ce soit avec mes amis, tiens, une Leffe avec Julien, Bertrand ou Carlo, voire une petite bouffe sympa avec Greg, Trixi, Phil et Khaled (quoique ce dernier voudra également les Leffe….), mais de là à parier que j’allais me raser la tête… il y a une marge qu’aucune paire de ciseaux n’aurait même entrepris d’imaginer, même si on nous annonce que ça y est enfin, le Standard est Champion !!

Pour tout dire, en entrant au bureau ce matin, je n’y pensais même plus.
Samedi, à l’aube, je suis allé voir ma coiffeuse préférée, comme dirait mon neveu Laurent ; « Normal, t’en as qu’une », et c’est en fait la première personne qui est tombée des nues lorsque je lui ai demandé « faut que ça brille ».
Le résultat d’un mauvais rêve me demande t’elle avec toute la douceur qui la caractérise… presque lui répondis-je.

Samedi après-midi, je suis passé à l’hôpital voir Rémy.
Rémy est âgé de dix ans et depuis quelques jours a perdu tous ces cheveux à cause de sa chimio.
Tous les cadeaux du monde ont beau y faire, ils n’enlèvent pas les larmes ni les yeux tristes de sa famille.
Rémy n’est pas dupe, et la joie de déballer toutes ses boîtes s’estompe bien vite lorsqu’il lève les yeux pour remercier celui ou celle qui vient de lui remettre.
Il est difficile de garder espoir et de sourire quand on vous annonce que… ce n’est plus qu’une question d’heures et qu’il faut tous s’y préparer.
Voilà pourquoi il est plus « drôle » de laisser penser à toutes les personnes qui ne sont pas concernées par ce drame, que ce pari, quel qu’il soit, je l’ai perdu.

Rémy aussi est sur le point d’en perdre un, mais quand je me suis présenté dans sa chambre samedi après-midi, ce petit bout d’homme a rigolé pendant 3 heures.

Toutes mes veines explications n’y firent rien.

Pourtant, j’aimais bien celle qui prétendait que sa coupe de cheveux ayant un effet certain sur l’affectif des infirmières, je faisais pareil pour en séduire une (ma petite sœur va aimer…).
Vous saviez que si vous vous rasez la tête, elle sera toute blanche ?
Avec le visage bronzé par tant de matches de baseball, ça fait un effet bœuf, je vous le garanti.
Rémy ne m’a pas loupé en tout cas, depuis, il dit à tout le monde que comme Caliméro, je me coiffe avec une coquille d’œuf, mais que vu la taille de l’œuf, il fallait absolument faire des recherches pour retrouver sa maman dinosaure…

Ce soir, je compte bien passer le revoir, entendre de nouveau sa super explication qui ne manquera pas de faire rire les infirmières, il y arrive lui…
Ce soir, j’oublierai, comme depuis trois jours, l’aspect tellement inhabituel de mon nouveau physique…
Ce soir, je ferai de mon mieux pour encore laisser ma tristesse dans la voiture, sur le parking…
Ce soir, il se moquera encore de moi…
Ce soir, il rigolera encore aux éclats…

J’espère juste que ce soir… il sera encore là pour que moi aussi je puisse rigoler avec lui.

Ryan

On dit que Dieu fait tout à la perfection...
Où est la perfection en Ryan, mon fils ?
Mon fils ne peut pas comprendre les choses comme les autres enfants.
Mon fils ne peut pas se souvenir comme les autres enfants.
Où est donc la perfection de Dieu ?
Je crois qu'en créant un enfant handicapé comme mon fils, la perfection que Dieu cherche est : Comment nous réagissons vis-à-vis de cet enfant.

Un après-midi, Ryan et moi nous nous promenions près d'un parc où des garçons jouaient au Baseball.
Ryan me dit :
"Tu penses qu'ils me laisseraient jouer avec eux ?"
Je savais que Ryan n'est pas le genre de coéquipier que les garçons recherchent d'habitude, mais j'espérais quand même qu'on allait lui permettre de jouer...
Je demande donc à l'un des joueurs de champ si Ryan peut participer...

Le joueur réfléchit quelques instants et dit :
"nous sommes menés de six points et nous sommes dans la huitième manche, je crois qu'il peut faire partie de l'équipe et même avoir l'occasion de frapper dans la neuvième manche."

Ryan poussa un soupir énorme.
On lui dit alors de prendre un gant et de prendre position sur le terrain.
A la fin de la huitième manche, l'équipe de Ryan a marqué quelques points, mais reste toujours menée de trois points.

Vers la fin de la neuvième manche, l'équipe de Ryan marque encore un point !
L'équipe n'a plus que deux points de retard et encore une chance de remporter la partie.
Chose étonnante, on lui donne la batte. C'est à son tour de se présenter au marbre.
Tous savent qu'il est presque impossible de gagner, car avec deux joueurs retirés et même avec deux joueurs sur bases, Ryan ne sait ni comment tenir une batte, ni comment frapper une balle.

Lorsque Ryan s'est placé dans sa zone de frappe, le lanceur de l'équipe adverse s'est avancé de quelques pas et lance la balle assez doucement pour que Ryan puisse au moins la toucher avec sa batte.
Ryan frappe lourdement au premier lancer, au point d'en perdre l'équilibre, sans succès.
Un de ses coéquipiers vient à son aide et les deux prennent la batte ensemble, attendant le prochain lancer.

Le lanceur avance encore de quelques pas avant de lancer légèrement sa deuxième balle à Ryan.
Avec son coéquipier, Ryan frappe la balle qui roule vers le lanceur qui la ramasse.
Mais voilà que le lanceur jette la balle très haut dans le champ droit, très loin au dessus de la première base.
Tous se mettent alors à crier "Cours en première base, Ryan, cours en première base !!!"
Jamais il n'avait eu l'occasion de jouer au baseball, jamais il n'avait tenu de batte, jamais il n'avait frappé une balle, jamais il n'avait atteint une première base...

Ryan galopa le long de sa ligne, tout étonné de ce qui était en train de lui arriver.
Quand il atteint la première base, le champ droit tient la balle dans sa main. Il pourrrait facilement la lancer en deuxième base, ce qui éliminerait Ryan qui court toujours.
Mais il lance la balle bien au dessus de la troisième base et tous s'écrient alors "Cours en deuxième Ryan, court en deuxième !!"

Les deux autres coureurs, équipiers de Ryan, viennent de passer le marbre ce qui leur permet virtuellement d'égaliser le match. Pour être validés et donc accordés, il ne faut pas que Ryan se fasse éliminer, sinon ces deux points ne compteraient pas.
Ryan arrive maintenant en troisième base, où le joueur de l'équipe adverse vient de ramasser la balle.
Le troisième base envoie la balle trop haut et trop fort en direction de son catcher, et tous se mettent alors à crier "Au marbre Ryan, au marbre pour un Home Run !!"

Ryan atteint le marbre avant que le catcher ne puisse l'éliminer rentrant ainsi un Home Run et un troisième point, permettant aussi à son équipe de remporter le match.
Ryan est un héros et tous les joueurs le portent alors sur leurs épaules.
Tous prennent le temps de le saluer, le féliciter, et leurs parents, applaudissant depuis quelques minutes déjà à tout rompre, se joignent même à eux sur le terrain pour faire la fête à Ryan, mon fils.

Ce jour là, j'avais les larmes aux yeux et 18 garçons ont atteint ce niveau de perfection que Dieu leur a donné.
Je n'oublierai jamais cet après-midi magique, et depuis, je regarde tous les matches de baseball que je peux à la télévision avec ce même souvenir rempli de joie, de sourires, vous auriez dû le voir sourire.... je ne l'avais jamais vu sourire autant et aussi longtemps.

Ryan décéda trois jours plus tard.