Thursday, October 4, 2007

Athos

Le ciel est bien ténébreux alors que nous ne sommes qu'à la mi-juin...
La centaine de corbeaux qui volent, planent, dans ce ciel paré de toutes ces couleurs rouges doit également y être pour quelque chose.

Sur la plaine, tout n'est que désolation, des milliers de corps qui jonchent ce sol détrempé par le sang de tous ces guerriers qui, au coeur de la bataille, ne devaient penser qu'à être chez eux, bien au chaud, beigné du réconfort et de l'amour de leur femme.
Cette bataille s'était enfin terminée... et le banquet des corbeaux pouvait commencer.

Cette bataille avait duré bien longtemps, de longues heures de corps à corps, des assauts répétés qui finirent par éprouver les plus vaillants de ces guerriers, les uns après les autres.
Des heures qui s'écoulèrent pour tous aussi lentement que des semaines, des mois.
C'était donc terminé, enfin. Le bruit des épées qui s'entrechoquent avait enfin laissé la place au silence.

Un silence que l'on aurait pleinement apprécié s'il n'y avait eu cette odeur âcre et pestilentielle de ces corps jonchés les uns sur les autres.
Une odeur lourde et tenace, cette même odeur qui vous laisse l'impression de vous envelopper telle une cote de mailles, et de vous serrer bien fort contre elle au point de vous étouffer.

Cette odeur, même le plus faible souffle de vent arriverait à la porter jusqu'aux plus insensibles des narines humaines.
Le parfum de la "Mort"...
Celle-ci, ne se ferait certainement pas prier pour venir contempler son oeuvre, et nul doute qu'après un tel carnage, ce spectre sombre pourrait s'octroyer quelques jours de vacances.

Des corps à perte de vue, hommes, chevaux, tous unis pour leur dernier voyage, sur une plaine qui, avant leur arrivée, ne se disposait qu'à nourrir des dizaines d'hectares de blé.
Quel gâchis, toutes ces vies.... tout ce blé.... toute cette terre.
Mais tout cela en valait-il la peine ?

Au milieu de ce tableau nauséabond, un chevalier semble pourtant encore appartenir au monde des vivants.
Je dis "semble", car au milieu de ces corps, de ces lances brisées, de ces sabres plantés dans le sol, se trouve un chevalier noir.
Couvert de sang, ce dernier est agenouillé, les mains posées sur son épée plantée dans le sol, la tête penchée vers l'avant.
Son heaume est posé près de lui, à même le sol, fendu par un coup d'épée ou de hache ennemie. Cette pièce d'armure qui d'ordinaire surmontée d'une soyeuse et voluptueuse plume blanche, faisant généralement la fierté de son chevalier, avait depuis quelques heures troqué cet apparat angélique contre un plumeau bien fade, couvert de sang.
De sa superbe, il ne restait finalement pas grand chose.

Peut-être est-il en train de prier ?
Peut-être est-il mort ?
Peut-être est-il en train de rassembler ses forces pour se relever ?

Le corps transpercé de flèches, il a beaucoup de mal à respirer, à reprendre son souffle.
Il lui faut enlever cette cuirasse qui l'empêche de respirer, peut-être ses dernières bouffées d'air, mais il l'a compris, enlever cette armure, s'est aussi s'exposer de façon irrémédiable à une nouvelle flèche, lance, ou carreau d'arbalète.
Cette fois c'est certain, ce serait bel et bien synonyme de trépas au vu du peu de forces qu'il lui reste.

Pourtant, il lui faut se relever.
Rester là, ne lui apportera rien et il en est conscient.
Il lui faut repartir, trouver un refuge pour panser ses plaies, oublier ce qu'il vient de voir, de vivre, décharger ses souvenirs de ces derniers instants qui risquent fort bien de laisser une trace indélébile au fond de son âme.

Mais en a-t'il vraiment envie ?
Pourquoi se relever après ce qu'il vient de vivre, la vie a-t'elle encore un sens après tout cela ?

Je suis ce chevalier, cette bataille était celle de l'amour, ce champ de blé mon coeur, et ce qu'il me reste, à part les plaies, c'est le souvenir.
Cette cuirasse m'empêche vraiment de respirer... je dois l'enlever.